Six mois après son annonce officielle, le Plan Nord peine à obtenir l’adhésion générale. On en a déjà parlé il s’annonce pourtant comme un projet majeur pour la société québécoise, sur les plans économique, social, environnemental. Le Premier Ministre Jean Charest est en tournée mondiale pour en assurer la promotion (et inciter les grosses entreprises à venir investir). J’ai moi-même écrit de fabuleux articles ici et là, donc question com’ on ne peut pas faire mieux. Malgré ce dispositif exceptionnel, les populations locales directement concernées ne savent toujours pas de quoi il retourne exactement. Inquiètes de voir de si grandes marelles se dessiner dans leur cour sans permission, elles manifestent en ce moment leur inquiétudes.
A Schefferville, les Innus demandent à être consultés sur le champ. Réal McKenzie, le chef des Innus sur ce territoire, affirme que sa communauté de 850 personnes n’a pas été consultée dans l’élaboration du Plan Nord. « Pas eu un seul téléphone, pas une seule lettre de M. Charest », s’est agacé McKenzie, qui ne veut pas voir la population locale devenir à nouveau les dindons de la farce. Car ce village de la Côte-Nord a déjà connu les promesses du développement économique, suivi de l’abandon pur et simple sitôt le filon tari. La compagnie minière Iron Ore du Canada a longtemps exploité les mines de fer du coin. La ville a d’ailleurs été créée en 1955 pour cette raison, en vertu de la loi sur l’organisation municipale des villages miniers. Au fil de l’exploitation, la population de Schefferville est montée à 5000 habitants – autochtones et allochtones, ce qui n’est pas rien à de telles latitudes. Et puis, en 1982, terminé. Le filon épuisé, Iron Ore se retire. La ville ferme, les infrastructures sont détruites, dont 300 maisons encore habitables. Schefferville a ré-ouvert à la faveur du récent boom minier, mais le village compte 200 habitants à tout casser… et ne veut pas voir cette mésaventure recommencer. « Nous avons la volonté d’être écoutés une fois pour toutes », résume McKenzie, qui entend aussi être écouté par les sociétés minières. « Il n’y aura plus de passe-droits sur mon territoire », avertit le chef.
A Mashteuiatsh, les Innus sont prêts à rejeter le Plan Nord si les doutes subsistent. Ils demandent notamment davantage de garanties au sujet de la protection, annoncée mais floue, de 50% des terres concernées. Même chose en ce qui concerne la protection du caribou forestier, une espère de grande valeur culturelle pour ce peuple. « La poursuite de notre adhésion est indissociable du respect de notre statut de réel partenaire et de la détermination d’engagements clairs et fermes du gouvernement », prévient Florent Bégin, vice-chef aux Affaires extérieures et représentant politique délégué au dossier du Plan Nord.
Face au scepticisme ambiant, Roméo Saganash, le député fédéral néo-démocrate, ex-chef des Cris et ex-négociateur autochtone, est monté au créneau. Le fait d’accueillir un grand nombre de personnes qui ne demeureraient sur le territoire que pour des quarts de travail prolongés ne l’inquiète pas outre mesure. « L’important, c’est que le développement profite aux communautés directement touchées, en termes de contrats, d’emplois et de compensations pour le territoire ». Il avance également que ce plan sera l’opportunité de construire des infrastructures qui bénéficieront durablement aux habitants. A condition que l’expérience Schefferville serve de leçon évidemment.
En outre, « aucune loi ne peut prendre le dessus sur la Convention de la Baie-James », a poursuivi Saganash. Cette convention constitue un règlement général entre le gouvernement du Québec et les représentants des Cris et des Inuits du Nord-du-Québec. Signée en 1975, elle établit un régime de protection de l’environnement et du milieu social, avec en outre un régime d’indemnités de développement économique. Cela dit, vu l’extrême précarité en vigueur dans ces communautés, difficile de rassurer la population en disant « au moins cela ne peut pas être pire ». Ces communautés ne veulent pas maintenir le statu quo, elles veulent un progrès. Pour l’heure, elles voient un gros truc arriver, mais ne savent pas s’il s’agit d’une montagne d’or ou d’autre chose plus malodorant.
Avec ce Plan Nord titanesque, Jean Charest laissera quoi qu’il arrive son nom dans l’Histoire du Québec. Mais pour la section « concours de popularité », ce n’est pas encore ça. Des groupes facebook anti-Plan-Nord fleurissent sur la toile (tel celui-ci, dont un ou une représentant-e a déjà honoré ce blog de quelques commentaires). Un groupe de députés indépendants vient d’exiger la tenue d’une commission parlementaire sur le développement des ressources naturelles et hydroélectriques. La faute à ce qu’ils dénoncent comme une « culture du secret ». Ce manque de transparence interdit à l’ensemble des Québécois, et pas seulement aux autochtones, de se faire une véritable opinion. C’est franchement dommage, au vu de sa nécessité économique, mais aussi de l’opportunité sociale sans précédent qu’il constitue. On n’a pas tous les jours l’occasion de véritablement transformer un pays. A moins que ce ne soit un manque de vision qui rende la communication si délicate? Car on n’est pas sûr que le gouvernement ait lui-même conscience de l’ensemble des enjeux à l’œuvre, notamment en ce qui concerne le développement des territoires à long terme. Il faut espérer que non, car cela ferait drôlement désordre. Quand le professeur attire la foudre sur son château pour donner vie à la créature, mieux vaut qu’il sache quoi faire si la bête se lève, étrangle le majordome et se dirige vers le village juste en bas.
Ceci n’est pas une photo de Jean Charest
Bonsoir Monsieur Zapirain,
C’est gentil de parler de nous dans votre article !
Voici un extrait d’un commentaire d’un lecteur d’un bref article de Radio-Canada paru hier :
« Je suis né à Fermont dans les années 70, j’y ai toujours vécu et j’ai maintenant l’impression que ma ville n’existe plus, [que] ce n’est plus qu’un campement de travailleurs venus siphonner les dollars du boom minier et qui n’ont aucunement l’intention de laisser quelque chose en héritage à la population, ni de respecter ceux qui se trouve sur place. J’ai presque hâte au prochain creux du marché du fer… » – P. Frechette
Fermont est l’une des rares villes minières de la Côte-Nord. L’auteur de ce commentaire est probablement un descendant de mineur. D’autres citoyens de Fermont et aussi de Sept-Îles, ville qui s’est opposée à l’exploitation de l’uranium dans une proportion de 91 % en 2009, ont aussi commenté cet article.
http://www.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2011/12/08/002-fermont-insecurite-plan.shtml
Vous écrivez : «Car on n’est pas sûr que le gouvernement ait lui-même conscience de l’ensemble des enjeux à l’œuvre, notamment en ce qui concerne le développement des territoires à long terme.»
Disons-le plus clairement : ce Plan Nord n’a rien d’un plan (au sens de «planification»), mais tient bien plutôt de l’improvisation, d’une très mauvaise «impro».
Un exemple parmi tant d’autres possibles : la protection de 50 % du territoire. Heu… pourquoi 50 % ? Pourquoi pas 30 ou 40 ou 60 ou 75 % ou…? On n’en sait rien. Si ce n’est, peut-être, que protection / exploitation, ça fait moitié / moitié… Entre écolos et minières, on coupe la poire en deux…Pas fort comme argument sensé, scientifique, mais ça fait assez bien comme «pitch» publicitaire et politique.
@ Ne perdons pas le Nord: je trouve ce genre d’article et de témoignage, qui peuvent passer pour des anecdotes, typiques des enjeux à venir. L’afflux de travailleurs doit être accompagné d’un afflux de moyens publics, de structures. Sans quoi on en restera là, l’esprit « mercenaire », les témoignages sur l’insécurité…
@ Paul: sur ce point des 50% de protection du territoire, les hésitations et déclarations contradictoires du gouvernement n’aident pas à croire que le dossier est maîtrisé, effectivement.
Globalement, on peut se dire aussi que ce Plan Nord va s’étaler sur plusieurs décennies. Même si le gouvernement actuel manque de vision, l’impopularité de Charest laisse croire que les postes vont changer de main à la prochaine élection… On attend des solutions de la part des futurs ministrables, c’est un sujet clé!
Et ces enjeux seront encore plus grand au Nunavik ! Si un citoyen (probablement allochtone) de Fermont, une ville minière, se sent complètement dépassé, imaginez comment se sentira un citoyen du Nunavik qui ne sait pas ce qui l’attend, qui n’a pas la même culture, ni même la même langue que les travailleurs, lesquels ne font pas toujours preuve de civisme, si j’en juge les commentaires des quelques citoyens de Fermont qui se sont exprimés au sujet de ce bref article.
Les municipalités de Sept-îles et de Fermont, pour ne nommer que les plus touchées, éprouvent déjà des difficultés à répondre à la demande et on ne peut pas dire que le gouvernement soit pressé de les aider.
Le Plan Nord est un enjeu électoral plus qu’un réel plan.