Un jeu vidéo vietnamien fait actuellement la fierté de son pays. Ce jeu de tir en vue subjective, développé par Emobi Games, traite de la guerre d’Indochine, vue par les Vietnamiens. Plus précisément, il relate la victoire des communistes sur l’armée française à Dien Bien Phu. Il se nomme à cet effet 7554 (pour 7 mai 1954, date du jour victorieux).
Bizarre hein?
Voir un produit culturel où les rôles de gentils vainqueurs et de méchants perdants sont inversés, cela fait toujours son petit effet pour nous autres occidentaux. Nous sommes tellement habitués aux films/jeux de guerre où les sales types sont Allemands, Russes ou Talibans… Ces rôles sont tellement ancrés dans nos subconscients qu’on a rarement matière à se sentir concerné par le point de vue ennemi. Je ne sais pas comment réagissent les Allemands face à la pléiade de films et jeux basés sur la Seconde Guerre Mondiale, mais ça doit être un peu lourdingue de se voir rappeler sans arrêt la période nazie de son pays. Je me demande si les joueurs allemands prennent un plaisir aussi candide que les autres à zigouiller la réplique virtuelle de leurs arrière-grand-parents.
Dans 7554, les bad guys, ce sont les Français, des colons qu’il faut chasser du pays. Le jeu exploite les tendances à la mode dans le jeu vidéo: il y est question d’une poignée de héros qui massacrent des centaines d’ennemis à la seule force de leur patriotisme, à grand renfort de spectacle et de scènes choc. On peut critiquer le procédé propagandiste. Mais alors il faudrait s’offusquer aussi de la série de jeux américains Call of Duty, modèle évident de 7554. Ces énormes blockbusters ne se gênent pas pour imprimer dans les têtes des joueurs une image glorieuse et justicière des soldats de l’Oncle Sam. On ne va pas jouer les vierges effarouchées sur 7554 donc, même si l’on comprendra bien la délicatesse du marché français à accueillir un tel jeu. D’ailleurs, aucune date de sortie n’est encore annoncée dans l’Hexagone, alors qu’il a débarqué en décembre dernier au Vietnam et déboulera le mois prochain sur le continent américain. Étude de marché pessimiste du fait de la difficulté des joueurs à s’identifier aux héros (ou de la facilité à s’identifier aux méchants), accueil glacial des associations d’anciens combattants, crainte de la polémique… Les raisons d’un rejet français ne manquent pas. Mais rien n’est sûr: après tout, l’Allemagne voisine ne craint guère les produits où elle tient le mauvais rôle. Tuan Huy, le directeur d’Emobi Games, précise d’ailleurs qu’une version sous-titrée en français est en préparation. Réservée au Québec? « Ce n’est pas un jeu anti-français », insiste le porte-parole. Aucun risque donc de voir le Commandant De La Baguette, spécialiste du lancer de saucisson, sonner la retraite générale au premier coup de feu, illustrant ainsi la couardise française rendue si célèbre par un cortège de blagues venu tout droit… des États-Unis.
Au Vietnam, en revanche, on mise beaucoup sur 7554. Tuan Huy explique que ce jeu, « basé sur des faits historiques » est le plus ambitieux jamais réalisé dans son pays. Une « fierté nationale » dit-il au site Mail online. Sa réalisation a nécessité trois ans de travail pour une équipe de 20 programmeurs. Une équipe, précise le Mail Online, liée aux autorités locales pour assurer « un maximum d’authenticité historique ». Toutefois, précise Tuan Huy, « notre but n’est pas de reconstituer l’exactitude historique. C’est plutôt un support pour s’amuser ». De quoi prendre quelques libertés avec la réalité de la guerre et la rendre plus héroïque. On a déjà vu ça quelque part…
Emobi Games a investi plus de 600 000 euros (environ 800 000 dollars canadiens) dans son bébé. Oui, 600 000 euros d’investissement pour 3 ans et 20 programmeurs, cela fait bien 10 000 euros par an et par programmeur. Soit beaucoup moins qu’en France ou au Canada. Tout compte fait, si le jeu pouvait éviter de briller sur les marchés occidentaux, ce serait peut-être mieux. Se rappeler d’un épisode douloureux de notre histoire est une chose, donner de nouvelles idées de délocalisation en est une autre…
Laisser un commentaire